________ Après les Sirènes

fleuryfontaine
Naomi Heinrich
Quentin L’Helgoualc’h

Exposition initialement présentée par Glassbox-Sud en 2020, issue des résidences croisées de fleuryfontaine, Naomi Heinrich et Quentin L’helgoualc’h à Sète.

Texte critique de Clémence Agnez proposé à l’occasion de la première édition de l’exposition.

Que faire après les sirènes ? Pas après qu’elles ne se soient tues, laissant revenir le silence et le temps de la réflexion, mais plutôt quand elles se sont éclatées en milles directions, hurlant jusqu’à épuisement et en tout lieu l’imminence d’une infinité d’événements dramatiques tantôt concordants tantôt contradictoires. Le danger est toujours déjà là, tout en étant à venir. Le cri des sirènes, chorale désarticulée de discours séducteurs et de tocsins hurlants, écartèle le sujet contemporain entre ses lignes de fuite tous azimuts. Si précisément la fuite n’est plus adaptée, la suspension du jugement et de l’action ne l’est pas plus.

Que faire après les sirènes ? Non plus articuler un discours sur elles, mais élaborer les représentations hyper-locales des phénomènes parfois dramatiques qu’elles recouvrent et surtout qu’elles permettent. Nous forcer à faire taire la polyphonie funeste de ces signaux parasites qui étouffent le cri des corps martyrisés au nom du danger à venir, de la sécurité érigée au rang de bien suprême, de l’ordre – pas n’importe quel ordre, celui toujours déjà établi. Après les sirènes, peut enfin nous revenir l’attention portée à la relation que nous entretenons avec nos principaux outils, nos prothèses numériques. Ces auxiliaires amis et fêlons dont le sens de la subordination et de la dépendance clignote aux grés des usages et développements des systèmes complexes, préemptent si l’on n’y prête pas garde le plus anodin de nos comportements. Et à la fin, une fois les alarmes passées avec la catastrophe, dans l’étendue désertique laissée par nos rêves de métropoles, il nous reste à nous représenter les ruines ignifugées d’une civilisation qui cherche son asile aux confins de son royaume usagé.

C’est ici, au milieu des ruines, que démarre l’exposition : représentation fragmentaire de restes civilisationnels d’après le grand incendie, projection eschatologique d’une apocalypse purificatoire fantasmée, les objets qui composent l’installation de Naomi Heinrich nous parle d’un monde où la crise fait de la ruine le paradigme même du matériau de construction. Chantiers suspendus entre krachs boursiers et catastrophe naturelle, nous reconnaissons ici notre monde pris en étau par le post (post-contemporain, post-vérité) et le pré (préventif, prédictif), dont la construction future et les ruines du passé s’allient dans une forme unique, où les bords du temps se confondent. Un peu plus loin, la voix cajoleuse du.de la narrateurice androïde du film de Quentin L’helgoualc’h nous sussure au creux de l’oreille ce conte d’un nouveau genre qui nous parle d’une dépendance en miroir noir, bientôt partagée entre humains et machines, cet endroit où, une fois le point de singularité atteint, nous devons apprendre à cohabiter avec notre devenir-IA qui déjà structure les plus secrets de nos désirs. Mettant volontairement en scène les glitchs de numérisation d’un corps IRL modélisé dans les faisceaux sécants de deux caméras, le double virtuel du sujet capturé est secoué de spasmes numérico-neurologiques, entre crise de manque et appréhension de ses facultés motrices. Le.a cyborg nouveau-né.e qui peine à trouver la maitrise de sa nouvelle enveloppe nous raconte comment iel partage avec nous l’espace de la conscience et du désir, et comment, à rebours de nos fantasmes de prothèse robotique, l’humain devient à son tour l’auxiliaire de l’IA. Entreposés non loin, de grands panneaux de contreplaqué rapportent la forme en ogive que découpent les arches de la chapelle. L’installation de fleuryfontaine rappelle à notre souvenir, avec l’opiniâtreté de la mauvaise conscience, les artefacts marquants d’une révolte brisée. Nous reviennent en mémoire les dispositifs de protection des vitrines et des banques à l’occasion des manifestations des Gilets Jaunes. Pour protéger quoi? Qu’avons-nous sauvé? Au milieu de ce capharnaüm discipliné, une multitude d’écrans au sol reconstitue en modélisation 3D le corps mutilé d’un.e victime de violence d’état. Les blessures et leurs conséquences – hématomes, enflures et béances – gonflent, disparaissent, remontent à la surface dans une lente respiration lancinante. La peau chatoyante aux couleurs synthétiques nous montre comment, par ses pores et dans le flux et reflux incessant des effets de la mutilation policière, se paramètre le souffle du sujet politique contemporain.

fleuryfontaine
fleuryfontaine forme un duo d’artistes travaillant sur la place que chacun et chacune occupe dans les environnements néo-libéraux, artificiels et sécurisés qui conditionnent nos comportements, nos corps, notre rapport au monde et aux autres. Leur travail se décline sous la forme d’installations, de sculptures, de performances, de jouets-vidéos, de films et d’images générées numériquement.

Naomi Heinrich
C’est en mettant en corrélation la photographie, la vidéo, l’image 3D, la sculpture et l’espace dans ses installations que Naomi Heinrich crée des dispositifs qui composent un paysage à la fois concret et virtuel. Elle questionne alors notre situation en tant qu’individus circulant au sein d’environnements hybrides qui oscillent entre construction et destruction, entre chantier et ruine. Par cet entre-deux, son travail témoigne d’états transitoires.

Quentin L’helgoualc’h
Quentin L’helgoualc’h est plasticien et vidéaste. Il développe un travail de dialogue répétitif entre les médiums de la photographie, du dessin, de la sculpture et du cinéma où se confronte des rapports d’échelles et des frictions entre la perception du réel et de l’imaginaire.
En rendant visible le processus de fabrication, il propose de repenser les frontières entre ces formes. À travers plusieurs expositions et résidences, son travail se place dans une dynamique d’exploration des espaces.

INFOS

• Visites sur rendez-vous du mercredi – samedi de 14h à 18h
• Réservation à l’adresse glassbox.smart@gmail.com

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